Comme je vous l'avais annoncé, un colloque sur le procès de Nuremberg et l'irruption de l'éthique médicale moderne s'est tenu hier soir à la Fondation Rothschild . En voici le compte-rendu.
*Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique de l'AP-HP et du département de recherche en éthique de l'Université Paris 11 a introduit la séance en rappelant l'importance de ce procès et du Code dans le ressort de l'éthique médicale.
*Raphaël Esrail, secrétaire général de l'union des déportés d'Auschwitz a commencé cette conférence en nous délivrant quelques chiffres sur ce camp: 74 000 déportés, 2 500 en revinrent, 400 sont encore vivants avec une moyenne d'âge de 81 ans. Une aide est apportée à cette union par la Fondation pour la mémoire de la Shoah (Présidente d'honneur: Mme Simone Veil) Il nous indique aussi que le milieu enseignant est inclus dans la démarche avec des professeurs de français, de philosophie et d'histoire. Cette union organise un voyage le 8 avril sur le lieu du camp d'Auschwitz. Il nous décrit une politique de racialisation où une idéologie est devenue réalité avec une hiérarchie des races. Leur but: une élimination des hommes et des femmes d'une race considérée inférieure.Un périmètre de 30km² constituait une infrastructure de mort. 5 crématoires étaient sur le site. Le service industriel de la mort était constitué d'ingénieurs et d'architectes. le bloc 11 contenant des soviétiques fut celui où fut résolu les problèmes de gazage. Concernant les juifs, une seléction était effectuée par les SS; pour 80% d'entre eux, la chambre à gaz était la destination directe. Pour les 20% restants, ils étaient répartis dans les 40 sous-camps composant le gigantesque complexe. La déshumanisation était complète notamment avec la rasage et le tatouage sur le bras gauche (seul ce camp pratiquait le tatouage): les hommes n'étaient plus que des numéros. Le rôle des médecins était celui de serviteurs , d'encadrement de la mort et d'autopsie (notamment pour récupérer les objets précieux) Le camp abritait entre 60 à 80 000 personnes sur ses 170 hectares et il était une obsession pour les SS: éviter les épidémies. Dans le camp aussi, apparaissait une seléction notamment par l'infirmerie et la non-aptitude au travail En décembre 1943, des stérilisations furent effectuées où 175 femmes furent vendues à la Firme Bayer pour 150 Marks chacune. le sjeunes médecins se faisaient aussi la main.
*Benoît Massin, docteur en histoire des sciences, spécialiste de l'histoire des sciences biomédicales nous expose l'expérimentation médicale sur l'humain: le cas de l'Allemagne nazie. Selon lui, le terme du débat est celui d'un problème de l'éthique médicale ignorante de l'histoire de la médecine. Il reprend des termes issus des ouvrages de feu Jean Bernard, La bioéthique, 1994 qui indique que "les expérimentations n'ont permis aucun progrès" et de Philippe Lazar, L'éthique Médical en question, 1996 qui lui "ne veut pas trancher systématiquement sur le consentement". Il nous réaffime le fait que les expériences sont juridiquement et historiquement à l'origine du Code qui porte le nom du lieu du Tribunal International de Nuremberg. Il commence par poser la question circulaire de la bonne science, bonne éthique vs mauvais éthique, mauvaise science et sur ce point, analyse que la réalité des faits historiques ne permet pas de disculper la science médicale sérieuse. les SS des camps effectuaient dans certains cas des recherches normales et des échantillons humains du Dr Mangele (docteur en anthropologie et en génétique, et reconnu par les siens) étaient analysés à Berlin dans des Kaiser Wilhem Institute : KWI (équivalent en France à l'INSERM). Le parton de Mengele, Verschuer était reconnu comme l'un des meilleurs généticiens et spécialistes mondiaux de la méthode des jumeaux et de la génétique médicale. Les quelques médecins non nazis profitaient de l'opportunité des recherches. 3 projets de recherche étaient menés par les KWI d'Anthropologie et de Biochimie via des expérimentations humaines et des utilisations de "matériaux": protéines spécifiques du sang, pigmentation des yeux, génétique de l'épilepsie. Il nous rappelle que l'Allemagne détenait de 1901 à 1933 plus de Prix Nobel que les autres pays réunis. la science médicale sérieuse a directement participé à ces expériences sur des cobayes humains. Tous les médecins n'étaient pas nazis, des expériences ont eu lieu avant et pendant la guerre, certaines même dans d'autres pays (aux USA, dans les années 1960-1970, des femmes enceintes recevaient des substances radioactives) 80 séries d'expériences furent recensées sur des cobayes humains dans ce camp, les "matériaux" étaient pris dans les asiles psychiatriques, les prisonniers de guerre(des soviétiques surtout), dans le STO et quelques soldats de la Wehrmacht. L'hygiène et la bactériologie, à travers la recherche d'un vaccin contre le typhus exanthématique, fut réalisé avec le concours de Bayer, supervisés par des sommités médicales notamment par le Centre Robert Koch (équivalent de l'Institut Pasteur) Des éxpériences ont aussi été faites dans le domaine de l'aéronautique. Il conclut en nous remémorrant que le premier scandale fut en Allemagne celui de Neisser avec l'injection de syphilis à des prostituées sans leur accord puis que la première revue en éthique fut publié dans ce pays: Ethik. Il nous recommande comme lecture plus complète sur ce sujet La médecine Nazie et ses victimes par E. Klee, Arles, 1998.
*Bruno Halioua, médecin, historien, auteur de Le procès des médecins de Nuremberg (Espace Ethique/Vuibert, 2007) introduit son propos en nous citant le terme d'eugénisme créé par Galton comme amélioration des lignées. Il nous projette la loi du 14 juillet 1933 sur la stérilisation forcée ayant come but "la prévention d'une descendance malade" ainsi qu'un article montrant "un malade mental coûte 4 mark; un infirme 5.5; un criminel 3.5 et un apprenti 2" puis la circulaire du 18 août 1939 sur l'euthanasie des enfants malades. Il nous indique que le Tribunal Militaire International de Nuremberg a commencé le 20 novembre 1945 avec 22 dignitaires nazis, de l'Armée et du Reich. Le premier Procès fut celui des médecins commençant le 9 décembre 1946 où l'accusation fit venir 32 témoins et la défense 53. L'introduction fut prononcée par le Général Telford Taylor qui affirme entre autres que le but "était de dire les faits et non des affabulations", prévenant ainsi tout révisionnisme. Parmi les 23 accusés, 20 étaient des médecins et 3 des administratifs; 18 étaient nazis, 10 étaient SS. Sur la médecine aérienne, des expériences ont été réalisées sur les hautes altitudes à Dachau de Mars à Avril 1942 puis sur les refroidissements thermiques à Dachau d'Août 1942 à Mai 1943 et enfin sur l'eau de mer sur des tziganes; d'autres sur les maladies infectieuses et les poisons et sur les sulfamides. Il nous montre les 7 arguments de la défense: le caractère obsolète du serment d'Hippocrate qui ne s'appliquerait qu'au médecin thérapeute et non au médecin expérimentateur, l'analogie des exéprimentations avec celle des USA (eux n'ont pas eu de mort et assuraient un suivi), la responsabilité du totalitarisme hitlérien, la qualité morale et l'excellent réputation médicale, le souhait d'améliorer le sort de l'humanité, la limite des modèles expérimentaux animaux et enfin la participation des détenus comme manière de se racheter pour les délits. Il termine en demandant le retrait des maladies éponymes des médecins inculpés: Reiter, Wegner, Hallevarden, Leriche (Président de l'ordre des Médecins de 1940 à 1945 qui recensait les médecins juifs, les interdisait d'exercer et les dénoncait)
*Jean-Claude Ameisen, président du comité d'éthique de l'INSERM, membre du CCNE, a conclu la séance en rappelant que la recherche a pu ne pas être éthique mais l'existence même du camp ne l'est pas non plus. La naissance de l'éthique médicale moderne montre que la science n'est pas innocente et n'est pas garant d'un comportement humain. Les avancées de la science et le fait que la science ne soit jamais neutre ont effectué un changement de représentation de l'humain. Un clivage radical s'est opéré entre des hommes et la notion d'universalité de l'homme a été niée. Il revient sur l'appelation de consentement libre et éclairé qui selon lui, oriente le fait sur l'accord; il préfère le terme de choix et décision libre et informée. Il revient enfin sur la définition donnée par la Constitution de l'OMS comme bien être physique, psychique et social s'éloignant de la simple absence de maladie. Il conclut sur le fait que l'éthique peut éviter la déshumanisation et qu'elle peut espérer avoir le pouvoir d'empêcher de replonger dans la souffrance.