Un médecin du travail a été convoqué pour la première fois hier devant une juge d'instruction pour s'expliquer sur son inaction présumée face aux risques sanitaires encourus par des salariés exposés à l'amiante dans une usine de Condé-sur-Noireau (Calvados).
Le médecin, placé dès lundi en garde à vue pendant 24 heures par la gendarmerie, est arrivé hier au pôle santé publique du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris où il était convoqué par Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge spécialisée dans les affaires de santé publique.
La magistrate enquête depuis 2005 sur les conditions dans lesquelles plusieurs salariés ont été exposés à l'amiante, après les plaintes déposées en 1996 par les familles de deux salariés de l'usine Ferodo-Valéo de Condé-sur-Noireau, décédés, selon les expertises, en raison d'un mésothéliome - un cancer de la plèvre déclenchée par une inhalation de fibres d'amiante.
Ancien médecin du travail de l'usine Ferodo-Valéo, le praticien est soupçonné de n'avoir pas établi suffisamment de "fiches d'inaptitude" en faveur de salariés de l'usine au regard des données dont on disposait sur leur exposition, selon une source proche du dossier.
C'est à ce titre que la juge pourrait, lors de son audition, le mettre en examen ou le placer sous le statut de "témoin assisté" pour "non assistance à personne en danger", voire "homicides et blessures involontaires".
Le médecin, qui a travaillé plus de 25 ans à l'usine, n'aurait pas joué le "rôle d'alerte" prévu par la loi, selon Me Michel Ledoux, avocat de six familles qui se sont aujourd'hui portées parties civiles.
Six anciens directeurs de l'usine entre 1971 et 1996 ont déjà été mis en examen en septembre et octobre 2006 pour "blessures et homicides involontaires" et "non assistance à personne en danger", faute d'avoir mis en oeuvre les moyens nécessaires à la protection des salariés, malgré des réglementations de plus en plus restrictives depuis 1977.
Il a par ailleurs été membre du Comité permanent amiante (CPA) de 1982 à 1996, un "lobby de l'industrie" qui "a joué un rôle non négligeable dans le retard de l'interdiction de ce matériau en France", selon un rapport du Sénat.
"C'est la première fois qu'un médecin du travail risque d'être mis en examen pour un défaut de vigilance" dans une affaire d'amiante, a relevé l'avocat, tandis que les associations de victimes ont estimé lundi que sa convocation revêtait "une importance capitale".
"Les médecins sont des acteurs majeurs dans la prévention des risques professionnels, ils savaient ou auraient dû savoir que l'amiante était un produit cancérogène", ont aussi déclaré la Fnath (handicapés) et l'Andeva (victimes de l'amiante), soulignant "qu'aujourd'hui encore, malgré l'affaire de l'amiante, il apparaît très clairement que la médecine du travail ne remplit pas pleinement sa mission".
Spécialisée dans la fabrication notamment des plaquettes de freins et de systèmes d'embrayage, l'usine Ferodo-Valéo avait employé jusqu'à 2.500 personnes dans les années 1970.
Selon Me Ledoux, environ 800 anciens salariés ont été indemnisés pour avoir été exposés aux fibres d'amiante
L'interdiction totale de l'amiante n'est intervenue en France qu'en 1997.
Au même moment, un rapport de l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) indiquait 5 cas de cancers de la plèvre chez des chercheurs (Volcanologue, physicien, paléontologue, ingénieur en océanographie, professeur de mathématiques) de Jussieu, apparemment liés à une exposition passive à l'amiante. Ils y ont travaillé etre 10 et 35 ans. Le chantier de désamantiage a commencé en 1997.
Pour la première fois, un rapport scientifique décrit des cas groupés de cancers (mésothéliome pleural, cancer de la plèvre) parmi le personnel du campus, sans exposition professionnelle active à l'amiante. Tous travaillaient près d'un chantier de flocage et se plaignaient de la présence de poussière tombée du faux-plafond ans leur bureau.
La ministre de l'Enseignement supérieur Valérie Pécresse a annoncé que le chantier de désamiantage du campus universitaire de Jussieu, à Paris, était déjà réalisé au "deux tiers", et qu'il serait terminé "d'ici fin 2011".
"Les deux tiers du campus sont d'ores et déjà désamiantés", a affirmé Valérie Pécresse à l'Assemblée, interrogée par le député varois Philippe Vitel (UMP).
"Quand j'ai pris mes fonctions, le chantier était bloqué depuis quelques mois. Il y avait des dysfonctionnements administratifs, des difficultés relationnelles, ça m'a conduit à réorganiser l'établissement public en charge du désamiantage", a-t-elle expliqué, après avoir assuré qu'à Jussieu, depuis 1996, "aucune des personnes qui travaillent (...) n'est plus exposée à l'amiante".
"Depuis l'été, les travaux sont relancés, la reconstruction de la tour ouest a commencé. (...) Nous sommes dans l'optique de finir les travaux, de désamianter intégralement et de rénover intégralement le campus d'ici fin 2011", a-t-elle poursuivi, avant d'ajouter que l'Etat allait "dégager 216 millions d'euros et 12 emplois supplémentaires pour mener à bien ces travaux".
"L'institut de veille sanitaire vient d'établir que cinq chercheurs, quatre hommes et une femme, sont décédés il y a quelques années à la suite d'une exposition passive de 10 à 35 ans à l'amiante sur le campus de Jussieu", a-t-elle rappelé. "Ils sont décédés d'un cancer de la plèvre", a-t-elle reconnu, tenant à témoigner de sa "sympathie" et de son "émotion" aux familles