Le point d'accès au droit des personnes âgées en Essonne m'a convié afin d'évoquer devant des professionnels la réglementation des soins sans consentement.
Je vous livre ici mon discours prononcé
Mesdames et messieurs,
Bonjour,
Présentation
Je m'appelle Olivier SIGMAN, j’ai une formation de juriste spécialisé en droit de la santé.
J'ai eu l'immense privilège d'être vice-président d'une grande université parisienne, Paris Descartes pendant deux ans puis j'ai exercé comme responsable juridique, de la clientèle et du développement d'un hôpital en Bretagne et je suis actuellement adjoint au directeur des relations avec les usagers à l’EPS Barthélemy Durand où cette direction a, entre autres, en charge les réclamations, les dossiers médicaux, la satisfaction, les admissions et les relations avec le juge dans un hôpital ayant comme activité principale la psychiatrie.
J'interviens à ce titre et je n'ai aucun conflit d'intérêt.
Dans un premier temps, je vous exposerai dans une durée de 20 minutes le cadre des soins sans consentement puis dans un second temps je répondrai naturellement à vos questions.
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PARTIE 1 : LE CADRE DES SOINS SANS CONSENTEMENT
Préambule
« [L'intervention du juge pose] le bon équilibre entre la réinsertion du patient et la protection de la société, entre le tout angélique et le tout sécuritaire »
Nicolas Sarkozy, Président de la République,
discours à l'hôpital Erasme d'Antony, 2008
Un Français sur 5 souffre de maladies mentales, 650 000 personnes sont hospitalisées en psychiatrie chaque année. Sur ce nombre, plus de 80 000 sont hospitalisées sous contrainte (en 2017, d’après le CGLPL 62391 sur demande d’un tiers, 24255 en péril imminent et 17346 sur décision du représentant de l’Etat) et ce sont ces patients qui seront l'axe de mon propos. Le principe reste l’hospitalisation libre (commune à tous les établissements de santé quel que soit leur statut).
La loi sur les patients admis sous contrainte a longtemps été celle du 30 juin 1838, inspiré de Pinel et d'Esquirol, célèbres médecins aliénistes, précurseurs de l’organisation psychiatrique moderne avec un établissement psychiatrique par département.
Elle n'a été modifiée ensuite que le 27 juin 1990 puis dernièrement par la loi 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions de la loi de 2011.
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Les mesures de soins sans consentement
Il est utile tout d’abord de rappeler le cadre légal des mesures de soins sans consentement qui existent depuis 2011 et qui sont donc contrôlées par le juge des libertés et de la détention. Les patients sous cette modalité ne peuvent être pris en charge qu'au sein d'établissements de santé désignés dans chaque territoire à cet effet par le Directeur Général de l'Agence Régionale de santé, après avis du représentant de l'Etat dans le département.
La première grande catégorie concerne les admissions sur décision du directeur de l’établissement de santé autorisé en psychiatrie
On trouve sous cette appellation trois types d’admissions :
*l’admission en soins psychiatriques à la demande de tiers (la procédure de droit commun) : elle fait suite à un certificat médical mentionnant que la personne a « des troubles mentaux rendent impossible son consentement et [que] son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète »; accompagnée d’une demande d’un tiers (d'un membre de la famille du malade ou d'une « personne justifiant de l'existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci ») et un deuxième certificat médical d’un médecin pouvant exercer dans l’établissement qui confirme la nécessité de soins
*l’admission en soins psychiatriques d’urgence : un seul certificat médical mentionnant un « risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade » suffira avec une demande de tiers. Cette admission sera très souvent celle qui fera suite à une hospitalisation libre où la situation clinique du patient se sera dégradée.
*l’admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent : un seul certificat médical mentionnant « un péril imminent » et sans nécessité d’une demande de tiers (pas de tiers connu ou refus du tiers de signer une demande)
La seconde grande catégorie concerne les admissions sur décision du représentant de l’Etat dans le département, généralement 10% des mesures de soins sans consentement.
La procédure de droit commun (n’est pas celle utilisée le plus souvent) comporte un arrêté du préfet pris au visa d’un certificat médical mentionnant que la personne « nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l’ordre public ».
En urgence, un arrêté du maire peut être pris sur la base d’un tel certificat mais sera ensuite validé dans les 48h par un arrêté du préfet, l’arrêté devant être adressé par le maire au préfet dans les 24 heures.
Il y a également des admissions suite à une décision d’irresponsabilité pénale ou lorsque les conditions de détention ne sont pas compatibles avec l’état de santé de la personne
Dès l'admission, et après un certificat médical de 24h et un examen somatique dans le 1er jour, une période d'observation a lieu pour 72 heures.
La restriction à l'exercice des libertés individuelles est adaptée; nécessaire et proportionnée à l'état mental du patient et à la mise en oeuvre du traitement requis. La dignité du patient est respectée et la réinsertion est recherchée.
Même sous contrainte, le patient a le maintien de ses droits notamment de communication avec les autorités (dont le Procureur de la République, le maire et le Contrôleur Général des lieux de privation de liberté), de saisir la Commission Départementale des soins psychiatriques, de prendre conseil avec un médecin et un avocat; d'émettre et de recevoir du courrier (avec un contrôle pour les patients qui sont détenus), d'exercer son droit de vote et de se livrer aux activités de culte.
Le patient conserve l'intégralité des droits et devoirs des citoyens.
Pour motif thérapeutique ou pour effectuer des démarches extérieures, le patient peut bénéficier de sorties de courte durée de moins de 12 heures accompagnées par du personnel soignant ou par un proche ou de moins de 48 heures non accompagnées.
Au-delà de la période d'observation de 72 heures et à tout moment, le psychiatre peut mettre en place un programme de soins où le patient ne sera plus hospitalisé jour et nuit mais bénéficiera d'hospitalisations à temps partiel, de consultations et visites en ambulatoire ou à domicile. Si tout se passe bien, cela permettra au patient de se réinsérer et en cas d'échec, la sanction est le retour en hospitalisation complète. Dès lors, la contrainte est moins forte et le juge des libertés et de la détention ne sera plus saisi aux fins de contrôle à 6 mois.
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Une audience par un juge
A défaut la situation du patient sera examinée au maximum à 12 jours de l’admission (d’où le nom du film de Depardon « 12 jours ») par le juge des libertés et de la détention.
Le Conseil constitutionnel dans sa décision 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 a déterminé que seule l'autorité judiciaire, gardienne des libertés, est à même d’assurer le juste équilibre entre santé, sécurité et liberté. Puis que des avocats doivent assister le patient devant ce juge.
Ainsi, le juge des libertés et de la détention (JLD) intervient automatiquement pour les patients hospitalisés sous contrainte d’abord au terme d’une durée d’au moins 12 jours puis tous les 6 mois de leur présence.
Sans même qu'un litige soit né, et alors qu'il est habituel depuis la loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, que les patients contestent un peu plus les décisions médicales, la psychiatrie est le seul domaine où le juge est obligatoirement saisi. Il s'agit d'un contrôle systématique.
Le directeur de l'établissement d’accueil, notamment pour les patients hospitalisés sur demande de leur proche, ou le préfet pour les patients admis lorsqu’ils représentent un trouble à l’ordre public, saisit le juge des libertés et de la détention au 8ème jour de l'hospitalisation du patient. Ce juge doit statuer dans les 12 jours à compter du début de l’hospitalisation.
Désormais et depuis maintenant 7 ans, tous les patients sont vus par le juge des libertés et de la détention dès lors qu'ils sont hospitalisés plus de 12 jours consécutifs.
Le juge (et le greffier) vérifieront plusieurs éléments :
*la qualité du tiers à la demande d’hospitalisation
*la capacité juridique du patient, savoir s’il est sous tutelle ou curatelle
*les certificats médicaux de 24 et 72h qui doivent émaner de deux psychiatres différents pour les admissions au titre du péril imminent ou de l’urgence.
*les décisions ou arrêtés municipaux et préfectoraux ainsi que leur notification par le patient (date, heure, nom des signataires et du patient concerné)
*les délais de réalisation des certificats
*la motivation circonstanciée (qui démontre la nécessité de maintien en soins sans consentement) et la date de l’avis de saisine du juge des libertés et de la détention (dans les 8 jours de l’admission ou de la réintégration en hospitalisation complète ou dans les 15 jours avant une saisine à 6 mois)
Dans 90% des cas, il va considérer que l'hospitalisation est nécessaire et proportionnée à la pathologie du patient et bénéfique pour le patient ou pour la sécurité publique. Dans le reste des cas, la mesure sera levée et le patient sortira.
L'Agence Régionale de Santé peut également ordonner la levée de la mesure via la Commission Départementale des Soins Psychiatriques. Le tiers demandeur de la mesure auprès du directeur de l'établissement de santé, peut également demander la levée de la contrainte, et sans opposition d'un médecin, elle sera ordonnée par le directeur.
La loi initialement avait permis que l'audience se tienne en visioconférence afin que le patient soit plus rassuré en restant dans son service au lieu d'arriver dans un lieu solennel extérieur qu'est le palais de justice, principe désormais interdit depuis 2013.
Le code de la santé publique pose le principe d’une audience civile avec en conséquence, une audience publique. Cependant, le même code dispose en son article L3211-12-2 que l’audience peut se tenir en chambre du conseil « s’il résulte de la publicité des débats une atteinte à l’intimité de la vie privée ». Toutes les informations médicales étant abordées et pouvant porter atteinte à l’intégrité, la dignité, l’intimité et surtout au respect de la vie privée du patient si tout un chacun peut les entendre en audience publique, les établissements sollicitent pour leur très grande majorité une audience en chambre du conseil. Le débat est contradictoire.
Depuis 2014, cette audience se tient au choix soit au palais de justice, soit dans une salle spécialement aménagée au sein de l'établissement de santé (salle conforme au cahier des charges mentionné dans la circulaire DGOS/R4/2011/312 du 29 juillet 2011, notamment son annexe 5 portant schéma d'organisation d'une salle d'audience civile); ce qui est de plus en plus le cas; la salle pouvant également être mutualisée entre plusieurs établissements (ce qui est le cas pour les établissements psychiatriques parisiens).
Selon les établissements, ce sont une ou deux audiences qui ont lieu chaque semaine avec entre 4 à 14 patients qui sont vus.
L'établissement est représenté à l'audience.
Le but est de permettre au patient d'apporter des éléments à un tiers extérieur sur l'hospitalisation qu'il trouverait abusive ou au juge d'indiquer les conditions non respectées de l'hospitalisation.
Ainsi, cela contribue au respect des droits des patients et à l'amélioration des conditions de prise en charge.
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Des avocats présents
La loi de 2013 a inséré dans le code de la santé publique un article L3211-12-2 selon lequel « à l’audience, la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est entendue, assistée ou représentée par un avocat choisi, désigné au titre de l’aide juridictionnelle ». Cela permet d'expliquer au juge les propos que le patient, atteint de pathologie psychiatrique dans un contexte de crise, n'arriverait pas à aborder. Mais inconvénient, avoir un avocat signifie pour beaucoup se défendre d'une infraction.
Ainsi depuis 2013, le patient est obligatoirement représenté ou assisté par un avocat. Précisons que les avocats sont commis d'office et que c'est l'aide juridictionnelle qui règle leurs honoraires. Certains avocats ne se déplacent pas dans les établissements éloignés des tribunaux.
Il est donc obligatoire que l’avocat puisse consulter le dossier tel qu’il a été transmis par l’établissement ou le représentant de l’Etat. Il est de même obligatoire qu’une salle lui permettre de s’entretenir avec le patient, salle qui doit permettre le secret des correspondances entre un avocat et son client.
Les patients qui ont une restriction de liberté au vu de leur hospitalisation sans consentement ont à présent la garantie par le juge que leur hospitalisation est proportionnée à leur état réel. Ils peuvent également à tout moment demander à revoir le juge s'ils considèrent leur hospitalisation trop longue.
D'une part, il y a le contrôle obligatoire que j'ai évoqué à l'issue d'un délai de 12 jours d'hospitalisation complète à compter d'une admission ou d'une réintégration puis tous les 6 mois à compter de la dernière ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention et d’autre part, le juge des libertés peut être saisi par le patient ou par le tiers demandeur ou le représentant de l'Etat aux fins de demande de mainlevée à tout moment.
De même, dès lors que l’ordonnance est rendue, le Procureur de la république a la possibilité d’interjeter appel avec suspension. Cette modalité interviendra lorsque l’ordonnance aura pour conséquence une mainlevée de la mesure et de manière très majoritaire uniquement pour les patients ayant été hospitalisés pour menace à la sécurité publique. Cet appel doit se faire dans les 6 heures.
L’établissement de santé peut également interjeter appel mais il sera non suspensif. Le patient sera donc en programme de soins ou à l’extérieur et la cour d’appel permettra seule de réintégrer le patient, qui risque de ne pas comprendre.
La procédure civile ne fait pas exception en la matière et le patient, notamment lorsque l’ordonnance du JLD le maintiendra en hospitalisation peut interjeter appel auprès du Premier Président de la Cour d’appel dans les 15 jours de la notification. Cela leur est expliqué en annexe de l’ordonnance qu’ils reçoivent.
A tout moment, le patient, s’il trouve le temps long, peut re-saisir le JLD pour une demande de mainlevée. Cette nouvelle audience facultative repousse naturellement le délai de 6 mois d’une nouvelle audience obligatoire devant le JLD.
De plus, au bout d’un an d’hospitalisation en continu, la situation du patient sera examinée par un collège soignant composé d’un psychiatre participant à sa prise en charge, un psychiatre ne participant pas à sa prise en charge et un membre de l’équipe pluridisciplinaire prenant en charge le patient, souvent un cadre de santé.
Cette procédure a permis de limiter la durée de ce mode d'hospitalisation sous contrainte qui avoisine pour les patients hospitalisés sur demande de leur proche environ 50 jours et, pour les patients hospitalisés sur décision du maire 35 jours ou du préfet 5 mois.
La réforme a été bien acceptée par les patients et même les médecins psychiatres y voient un avantage du fait de l’intervention d’un tiers autorisé qui leur permet de rassurer le patient et la famille sur l’utilité d’une telle mesure.
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Contrôle des patients
Le code de la santé publique dispose en son article L3222-4 que « les établissements de santé sont visités sans publicité préalable au moins une fois par an par le représentant de l’Etat, le président du tribunal de grande instance, le Procureur de la République et le maire. Ces autorités reçoivent les réclamations des personnes admises en soins psychiatriques sans leur consentement et procèdent à toutes vérifications utiles ».
L’usage est le plus souvent celui de se signaler en amont afin que les patients puissent rencontrer ces autorités, échanger avec eux et organiser convenablement les choses pour l’établissement de santé et pour garantir l’effectivité des droits des patients.
Le contrôle peut également intervenir lorsque ces autorités auront été saisies par courrier par un patient hospitalisé.
De plus, le Procureur de la République est destinataire de toutes les décisions d'admissions prises par les directeurs d'établissement et de tous les arrêtés pris par les maires et représentants de l'Etat. Il est également destinataire de toute décision de levée et arrêté de levée de mesure.
Les parlementaires nationaux et européens élus en France peuvent également à tout moment visiter les établissements autorisés en psychiatrie.
Contrôle des établissements
Les autorités contrôlent et signent le registre mentionné à l’article L3212-11 CSP qui comporte les réductions des certificats médicaux, demande de tiers, ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention, collège soignant.
Un nouveau registre a été mis en place par la loi de modernisation du système de santé comportant la mention, les prescripteurs et les heures exactes de mise en isolement ou sous contention. Cependant, le législateur n’en a permis qu’une vérification par la Commission départementale des soins psychiatriques et par le Contrôleur Général des lieux de privation de liberté.
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Je vous remercie de votre attention et reste à votre disposition pour toute question.