Après un article rédigé sur le questionnement éthique pour un magazine juridique d'étudiants puis un article consacré aux évolutions de la règlementation tabagique et un article rédigé pour l'occasion de l'avis n°100 du Comité Consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé pour les Dossiers du Net, je viens d'être interrogé par Hospimédia, agence d'information du secteur hospitalier, au sujet d'un arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Lyon.
NB/ Je serai modérateur lors du colloque de la Conférence Nationale des Comités de Protection des Personnes (CNCP) le 4 septembre 2008 au Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative et intervenant pour le congrès de droit infirmier le 4 décembre 2008 à Nantes.
Voici donc l'article rédigé par Géraldine Tribault suivi de l'arrêt concerné.
Laïcité dans les établissements publics : le dialogue doit être privilégié
16.07.08 - HOSPIMEDIA - Dans cette rubrique, que vous retrouverez désormais chaque mois, Hospimedia vous propose de faire le point sur une problématique juridique qui touche particulièrement les établissements de santé. La question de la laïcité dans les établissements de santé reste un sujet sensible. Récemment des parents ont porté plainte contre le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse après que leur enfant se soit retrouvé handicapé après un accouchement difficile. Le père se serait « opposé à toute présence masculine dans la salle d’accouchement », retardant la pratique d’une césarienne. Au vu des différentes constatations, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté cette plainte. Hospimedia a décidé de revenir sur la problématique du respect de la laïcité dans les hôpitaux et de l’attitude à adopter pour le personnel de santé et les directeurs, avec Olivier Sigman, juriste en santé et membre du comité de protection des personnes (CPP) Ile-de-France III.
Cette actualité pose de nouveau la question du respect de la laïcité dans les établissements de santé, quels sont les textes qui permettent de la faire respecter ?
Il existe une charte de la laïcité qui concerne l'ensemble des services publics. Elle s'applique bien évidemment aux hôpitaux. Elle est consultable par tous les patients, souvent incluse dans le livret d'accueil. Mais cette charte n'est pas forcément affichée au sein des établissements. Les professionnels sont également informés du contenu de cette charte, ils doivent aussi établir une réflexion pour savoir comment la mettre en place au quotidien, estime Olivier Sigman. De même le directeur de l'établissement se doit de tenir informé le personnel de l'existence de cette charte. La circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé est de même toujours valable.
Face à ce type de situation, quelle attitude le personnel doit-il adopter ?
La situation à laquelle le personnel du CH de Bourg-en-Bresse a été confronté était une situation d'urgence. La question était de savoir comment réagir face à la décision du mari alors qu'il était extérieur à la relation soignant- patient puisque c'était sa femme qui était concernée. Dans ce type de situation, le dialogue doit primer et le soin doit rester la priorité. Bien souvent, quand le pronostic vital est engagé, la question ne se pose plus, indique Olivier Sigman. L'hôpital devait-il faire appel aux forces de police ? Sur ce point, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon dédouane l'établissement puisqu'il précise qu'en ne faisant pas appel immédiatement aux forces de police pour expulser le père, l'hôpital "n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité", explique Olivier Sigman. Il n'y a aucune obligation en la matière mais face à ces situations, le personnel des établissements de santé n'est pas armé, n'a pas d'autorité et doit, par conséquent, procéder à cet ultime recours.
Que révèle cette affaire ?
Dans ce cas, ce qui est important est de savoir jusqu'à quel point une personne peut demander à voir un homme ou une femme, car le patient a le libre choix de son praticien. Cependant, il est impossible d'obéir à ce principe au vu des effectifs dans certaines catégories professionnelles. De même, dans un service d'obstétrique, les délais sont courts et dans l'urgence le choix ne peut pas toujours être proposé. Doit-on alors faire intervenir systématiquement les forces de l'ordre dans les hôpitaux, s'interroge Olivier Sigman ? Il rappelle que l'association des médecins musulmans français, sur cette problématique, a indiqué qu'une femme ne peut être soignée par un homme et vice-versa qu'en présence d'une tierce personne. Par ailleurs, la multiplication de ces situations souligne la difficulté de la profession de gynécologue-obstétricien et devient une des raisons pour lesquelles les jeunes se détournent de cette spécialité. Olivier Sigman termine en rappelant que ces faits se sont produits il y a dix ans et que depuis les pratiques ont évolué. Les arrêts dans ce domaine restent rares. La plupart du temps les établissements, avec le dialogue, réussissent à atténuer les résistances.
DR
COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La Cour administrative d'appel de Lyon
(6ème chambre) N° 05LY01218
------------------
Consorts I.
_____
M. Quencez
Président
_____
M. Picard
Rapporteur
_____
Mme Marginean-Faure
Commissaire du gouvernement
_____
Audience du 20 mai 2008
Lecture du 10 juin 2008
_____
60-02-01-01-01-02
60-02-01-01-02-02
C
Vu, enregistrée le 26 juillet 2005, la requête présentée pour M. et Mme Radouane I., en leur nom propre et en celui de leur fils mineur Mohammed I., domiciliés ;
Ils demandent à la Cour :
1°) l'annulation du jugement n° 0306165 du Tribunal administratif de Lyon du 26 mai 2005 qui a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse en réparation des préjudices dont a été victime l'enfant Mohammed lors de sa naissance le 8 novembre 1998 ;
2°) d'ordonner une expertise afin de déterminer le préjudice subi par l'enfant Mohammed et ses parents ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à leur verser, en leur qualité de représentant légaux de leur fils Mohammed, une indemnité provisionnelle de 100 000 euros et, à titre personnel, une somme de 10 000 euros ;
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mai 2008 :
- le rapport de M. Picard, premier conseiller ;
- les observations de Me Damiano, avocat de M. et Mme I., et de Me Regnoux, avocat du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ;
- et les conclusions de Mme Marginean-Faure, commissaire du gouvernement ;
Considérant que le 8 novembre 1998 Mme I. a été admise à 5h40 à la maternité du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse pour accoucher, au terme d'une grossesse normale, de son quatrième enfant ; que l'expulsion de l'enfant s'est déroulée dans des conditions difficiles, le jeune Mohammed étant alors victime d'une dystocie des épaules, à l'origine d'une anoxie foetale, dont il a conservé de graves séquelles neurologiques ; que M. et Mme I. ont demandé au Tribunal administratif de Lyon la condamnation du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à les indemniser des préjudices subis par eux et leur enfant, atteint d'un taux d'incapacité de 100 % ; que, par un jugement du 26 mai 2005, le Tribunal a rejeté leur demande ;
Considérant que Mme I., qui a accouché de ses trois premiers enfants par voie basse, ne présentait à son entrée à l'hôpital aucun symptôme justifiant d'emblée l'intervention d'un médecin et le choix d'une césarienne ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise et des témoignages du personnel alors en service, que, dès les premiers épisodes de bradycardie foetale apparus vers 9h40, la sage femme a appelé l'interne de garde et, qu'invoquant ses convictions religieuses, M. I. s'est, jusqu'à 10h10, physiquement opposé à toute présence masculine dans la salle d'accouchement, notamment des médecins obstétriciens et anesthésistes et de l'interne de garde, malgré les demandes instantes de ces derniers ; que lorsque vers 10h10, après négociation, M. I. ne s'est plus opposé à l'intervention des médecins masculins, il était trop tard pour commencer une césarienne et l'extraction de l'enfant a dû être effectuée par application de forceps ; que M. I. a ainsi fait obstacle aux examens nécessaires qui, malgré le caractère totalement imprévisible de la dystocie des épaules, auraient permis de constater la survenue d'une anoxie foetale et de prévenir, par une césarienne prophylactique, les graves complications neurologiques dont a été victime le jeune Mohammed ; qu'en ne faisant pas appel immédiatement aux forces de police pour expulser M. I., l'hôpital n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ; qu'ainsi l'état de l'enfant est totalement imputable à l'attitude de M. I. et M. et Mme I. ne peuvent rechercher la responsabilité pour faute ou sans faute du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ; que, par suite, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les fins de non recevoir opposées par le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ni d'ordonner une nouvelle expertise, M. et Mme I. ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal a rejeté leur demande ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. et Mme I. le paiement d'une somme de 1 000 euros au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme I. est rejetée.
Article 2 : M. et Mme I. verseront une somme de 1 000 euros au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.