La proposition de loi 2923 souhaite que les pharmaciens d'officine puissent vendre les équipements de protection individuelle (EPI) respiratoire sous condition de présentation de carte vitale et carte d'identité.
N° 2923
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2020.
PROPOSITION DE LOI
visant à autoriser et à organiser la distribution ou la vente
de tout équipement de protection individuelle respiratoire
dans les pharmacies d’officine,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Valérie BOYER, Julien AUBERT, Jean Marie SERMIER, Véronique LOUWAGIE, Éric STRAUMANN, Isabelle VALENTIN, Bernard PERRUT, Meyer HABIB, Valérie BEAUVAIS, Fabrice BRUN, Bernard REYNÈS, Charles de la VERPILLIÈRE, Jean Louis MASSON, Jean Yves BONY, Guy TEISSIER, Gilles LURTON, Ian BOUCARD, Frédéric REISS, Éric PAUGET, Agnès THILL, Brigitte KUSTER, Jean Pierre VIGIER, Emmanuelle ANTHOINE, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Philippe VIGIER, Guy BRICOUT, Arnaud VIALA, Claude de GANAY, Didier QUENTIN, Stéphane VIRY,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis janvier 2020, la France affronte une crise épidémique et sanitaire inédite. Alors que le confinement des Français a débuté le 17 mars 2020, le Président de la République a annoncé un déconfinement partiel à partir du 11 mai 2020.
Se pose alors la question des masques sanitaires.
Le 26 janvier, la ministre de la santé Agnès Buzyn, disait : « Aujourd’hui, il n’y a aucune indication à acheter des masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées ».
Pourtant, le 4 mars 2020, le Président de la République, annonce que l’État réquisitionne « tous les stocks et la production de masques de protection » pour les distribuer aux soignants et aux personnes atteintes du coronavirus.
Le 13 mars 2020, le Premier ministre prend un décret de réquisition des stocks et de la production de masques jusqu’au 31 mai 2020.
En 2009, la France disposait d’un stock de masques assez important : 723 millions de masques respiratoires (les FFP2 qui protègent le porteur contre l’inhalation d’agents infectieux) et d’un milliard de masques chirurgicaux qui permettent au malade de protéger son entourage. Quand le coronavirus est arrivé sur notre sol nous n’en avions plus que 140 millions exemplaires.
Comme l’a expliqué le ministre de la santé Olivier Véran : « Le pays a changé sa doctrine sur les masques il y a dix ans. À la suite de l’épisode épidémique de grippe H1N1 de 2011, il a été décidé que ces stocks ne s’imposaient plus, la production mondiale de masques étant supposée suffisante. ».
Les médecins le répètent chaque jour, cette pandémie qui s’abat sur le monde et sur la France démontre l’impréparation de notre pays à faire face à une catastrophe d’une telle ampleur en termes d’équipements.
Au 18 avril 2020, 439 millions de masques ont été importés, et donc livrés, en France depuis le début de la crise du coronavirus.
En tout, la France a commandé deux milliards de masques, en grande partie à la Chine, qui demeure le principal fournisseur de cet équipement. Les livraisons, par avion, seront échelonnées d’ici fin juin, a déclaré, le 6 avril 2020 le ministre des affaires étrangères.
Selon plusieurs médecins([1]) nous aurions besoin de 15 millions de masques FFP2 par jour, soit 105 millions par semaine. « Car la France, qui a besoin de 40 millions de masques par semaine en produit 8 millions », a expliqué le ministre de la Santé lors d’une conférence de presse, le dimanche 19 avril 2020. Mais d’autres évaluations sont bien supérieures.
Selon une autre estimation([2]), nous aurions besoin, par semaine, de plus de 113 millions de masques pour les généralistes, 106 millions pour les infirmiers libéraux et près de 19 millions pour les pharmaciens. Il est important de rappeler que les professionnels de santé libéraux ont été les oubliés dans cette crise, en terme de protection et de participation, alors qu’ils jouent un rôle majeur.
Concernant le personnel hospitalier, nous aurions besoin, par semaine, de 174 millions de masques. Pour les autres équipes amenées à être en contact avec de potentielles personnes contaminées, comme les pompiers et le Samu, il en faudrait près d’1,5 million par semaine.
Pour rappel, selon le bilan démographique de l’année 2019, la France comptait au 1er janvier 2020 plus de 67 millions d’habitants (67 064 000 très précisément). Au premier janvier 2017, la France comptait 2,23 millions de professionnels de santé, dont 223 500 médecins et 660 500 infirmiers.
Dans le cadre du déconfinement il convient donc de trouver des solutions pour que les Français puissent rapidement disposer des masques sanitaires de protection.
Suite aux recommandations de l’Académie nationale de médecine concernant le port de masques alternatifs par la population([3])°, la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) ont immédiatement réclamé aux pouvoirs publics de pouvoir fournir des masques non sanitaires.
Autoriser les pharmacies d’officine à vendre des masques dits « alternatifs » (article 1er)
Jusqu’au 31 mai 2020, les officines françaises sont chargées d’envoyer tout ce qu’elles reçoivent aux professionnels de santé. Le ministère de la Santé a précisé que cette décision visait à « préserver les ressources en masques de protection dans le cadre de la lutte contre le Covid 19 ». Cette interdiction de vente figure dans un décret publié le 3 mars 2020([4]).
« Les stocks de masques de protection respiratoire de type FFP2 détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé » et « les stocks de masques anti projections détenus par les entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution » sont réquisitionnées jusqu’au 31 mai.
En temps normal, les officines peuvent détenir et vendre des équipements de protection individuelle respiratoire (EPI)([5]), à savoir des masques de type FFP 1, 2 ou 3 en fonction du niveau de filtration souhaité. Si les masques alternatifs venaient à être inclus dans cette catégorie, les pharmaciens pourraient les commercialiser au public.
Si tel n’était pas le cas, les représentants de la profession demandent une évolution de la liste des marchandises pouvant être commercialisées en officine.
Ainsi, les pharmaciens pourraient répondre aux attentes de la population en fournissant des masques répondant aux normes de qualité en vigueur et en les conseillant sur le niveau de protection apporté par chaque type de masques, dans le respect des recommandations sanitaires.
Il convient donc d’autoriser les pharmaciens à vendre, dans leur officine, à un prix déterminé par le Gouvernement, tout équipement de protection individuelle respiratoire et de « masques alternatifs » ou « masques barrières » correspondant aux normes de l’Association française de normalisation (AFNOR), notamment la norme AFNOR SPEC S76 001 :2020([6]) et agréés par la Direction générale de l’armement (DGA).
Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, faire en sorte que les pharmacies d’officine soient en charge de la distribution des masques et enregistrer cette distribution grâce à la carte vitale et sur présentation d’une pièce d’identité (article 2)
Nous bénéficions en France d’un réseau de pharmacies d’officine exceptionnel avec des professionnels de santé hautement qualifiés. Ce réseau est dense : une pharmacie pour 2 500 habitants et près de 22 000 officines sur le territoire. Il s’agit de structures de proximité très fréquentées. Près de 6 millions de personnes en France franchissent chaque jour les portes de ces officines.
C’est pourquoi, dans le cadre du déconfinement, les pharmacies sont les mieux placées pour distribuer les masques alternatifs (homologués par l’AFNOR et agréés par la DGA).
C’est un produit à vocation sanitaire qui permet de garantir la santé des Français et qui n’a donc pas vocation à être distribué par la grande distribution.
Cela devrait se faire sur présentation de la carte vitale et d’une pièce d’identité.
En effet, nous disposons en France de ressources incroyables notamment à travers les systèmes de l’Assurance maladie qui représentent une base de données exhaustive avec des milliards d’informations.
Le Système national d’information inter régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) contient plus de 10 milliards d’informations sur les prescriptions de médicaments, les consultations, les tarifs, les maladies. Toutes les feuilles de soins sont conservées au sein de ce système, ce qui représente au total 1,2 milliard de pages par an[7].
En somme, le Sniiram contient « des données de consommation médicale qui concernent toute la population ». Surtout, il est envisageable de recouper ces données avec d’autres fichiers tels que les fichiers hospitaliers ou encore les données de mortalité de l’Inserm. Cependant, l’accès à ces données reste très encadré et circonscrit à des cas très précis.
Il s’agit d’un système unique au monde qui pourrait constituer un support très efficace afin de suivre l’évolution du covid 19 en France et d’éviter la résurgence des contaminations post confinement. De plus, ces données sont la propriété de l’Assurance maladie et n’appartiennent ni à une entreprise ni aux GAFAM.
Actuellement, le seul fichier qui regroupe l’ensemble des personnes qui vivent en France métropolitaine et dans les DOM TOM c’est celui de l’Assurance maladie. Tous les assurés sociaux disposent en France, dès 16 ans, d’une carte vitale.
La carte vitale est un document complet et précis qui comporte l’identité de l’assuré social, à partir de ses 16 ans : nom, prénom, date de naissance, souvent une photo ainsi que son numéro d’assuré social (le NIR). Elle permet aux professionnels de santé d’avoir accès aux données du patient pour des opérations de paiement.
C’est d’ailleurs le paiement qui active la carte vitale (consultations, médicaments, actes...) même si l’assuré social ne débourse pas d’argent directement, soit parce que la prestation n’est pas payante soit parce qu’il y a tiers payant. De cette façon, il serait possible de connaitre précisément la distribution de masques via l’Assurance maladie.
Aussi, la distribution des masques par les pharmacies présente plusieurs avantages :
– Garantir la qualité d’un produit (norme Afnor S76 001 par exemple) ;
– Garantir son prix ;
– Conserver le caractère sanitaire du produit (sachant qu’un masque alternatif n’a pas le même objectif qu’un masque chirurgical ou qu’un masque FFP2) ;
– Permettre aux autorités sanitaires de savoir où elles en sont de la couverture du territoire en termes de masques ;
– Favoriser la production française.
Afin d’assurer la couverture territoriale, il est nécessaire que les pharmaciens s’assurent de l’adéquation entre carte vitale et identité pour la délivrance de ces masques.
Pour rappel, les pharmaciens sont déjà habilités à demander des pièces d’identités (CNI, titres de séjour, passeports) notamment lors de la délivrance des « médicaments stupéfiants » selon l’article R. 5132 35 du code de la santé publique[8].
Par ailleurs, le système AMELI mis en place par l’Assurance maladie ou des applications comme « Go mask » en région PACA permettent d’ores et déjà aux professionnels de santé de savoir combien de masques ont été distribués, à qui et où.
Il est donc possible d’organiser et de suivre cette distribution de masques grâce aux cartes vitales sans créer un traçage onéreux via des GAFAM qui pourraient être attentatoires aux libertés individuelles.
S’agissant d’un éventuel traçage, nous proposons que la France reste éthique et souveraine avec la solution technologique mise en œuvre dont elle est déjà dotée : les fichiers de l’Assurance maladie. La clé d’entrée, si cette mesure était choisie, serait alors le numéro de sécurité sociale, qui permettrait de s’inscrire pourquoi pas sur une application en liaison avec l’Assurance maladie.
Nous ne devons pas avoir peur des mots, ni des actes, mais des atteintes à la liberté. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un réseau d’alerte anonymisé, géré dans une stricte perspective médicale, sans aucun « traçage » ni « fichage » de la population ; un réseau éthique indépendant des GAFAM ou de tout autre prédateur de nos données santé. Ce système existe c’est l’Assurance maladie, notre modèle français.
C’est pourquoi un décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé devra déterminer les conditions de cette distribution permettant de l’organiser et de la suivre, tout en garantissant l’anonymisation des données. Nous pourrions envisager par exemple, avec l’aide des Caisses d’assurance maladie présentes dans chaque département, une distribution de masques de protection par âge.
Les données seront uniquement utilisables dans une perspective de santé publique, au même titre que les données médicales soumises aux articles 1111 7 et 1111 8 du code de la santé publique
Ce décret devra également fixer les conditions de rétribution des pharmaciens d’officine pour leur participation à cet enjeu majeur de santé publique.
proposition de loi
Article 1er
L’article L. 5125 24 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les pharmaciens peuvent faire dans leur officine le commerce de tout équipement de protection individuelle respiratoire ou de tout autre protection correspondant aux normes de l’association française de normalisation et agréés par la direction générale de l’armement.
« Un décret fixe les règles générales relatives aux conditions de cette commercialisation, notamment le prix. »
Article 2
Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et sur présentation de la carte d’assurance maladie et d’une pièce d’identité de l’assuré, les pharmaciens sont dans leur officine en charge de la distribution de tout équipement de protection individuelle respiratoire ou de tout autre protection correspondant aux normes de l’association française de normalisation et agréés par la direction générale de l’armement.
Un décret en conseil des ministres, pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, détermine les conditions de cette distribution permettant de l’organiser et de la suivre, tout en garantissant l’anonymisation des données. Les données sont uniquement utilisables dans une perspective de santé publique, au même titre que les données médicales soumises aux articles 1111 7 et 1111 8 du code de la santé publique.
Ce même décret fixe les conditions de rétribution des pharmaciens.
Article 3
La charge pour les organismes de sécurité sociale qui pourrait résulter de l’application de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
([1]) https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-olivier-veran-s-explique-sur-les-masques-pour-mettre-fin-a-la-polemique-20200321
([5]) Arrêté du 15 février 2002 fixant la liste des marchandises dont les pharmaciens peuvent faire le commerce dans leur officine, 23
([7]) Libération, 25 juin 2014, « La France a une base de données médicales unique au monde », Eric Favereau