Vingt-cinq ans après l’apparition foudroyante du virus du sida, la situation s’est améliorée en France, grâce à la prévention et surtout aux médicaments qui ont fait chuter la mortalité liée au HIV à 298 pour l’année 2006, contre plusieurs milliers de morts chaque année avant 1997, date d’apparition des thérapeutiques antivirales.
Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’Institut de veille sanitaire (BEH) tire aujourd’hui le bilan de l’épidémie pour 2006 qui révèle que les homosexuels masculins et les personnes originaires d’Afrique payent désormais le plus lourd tribut à cette infection.
(Voir le précédent article sur le BEH et les rapports entre amiante et cancer du poumon)
Le virus du sida, transmis sexuellement ou par le sang, longtemps asymptomatique peut être découvert à l’occasion d’un test de dépistage ou plus tardivement lors d’apparition des symptômes signant le sida.
Selon le BEH, 1 022 nouveaux cas de sida ont été diagnostiqués en France en 2006, contre 1 300 en 2005. Par ailleurs, 6 300 personnes en 2006 ont découvert qu’elles étaient infectées par le virus du sida, c’est-à-dire séropositives contre 6 700 en 2005.
Cette amélioration globale reste à confirmer dans les années à venir, afin de s’assurer qu’elle ne traduit pas seulement une désaffection pour la déclaration obligatoire de la séropositivité ou du sida.
Comment se sont contaminées les personnes qui ont découvert leur séropositivité en 2006 ? «48 % lors d’un rapport hétérosexuel, 29 % lors d’un rapport homosexuel et 2 % par usage de drogues injectables, alors que pour 21 % des cas, le mode de transmission n’est pas connu», répond le BEH.
Près de la moitié des contaminations par rapport hétérosexuel concerne des personnes d’Afrique subsaharienne.
Des extrapolations permettent d’estimer qu’il y aurait eu en 2006 pour les homosexuels, 511 nouvelles contaminations pour 100 000, contre 6 pour 100 000 pour les hétérosexuels non usagers de drogues.
Pour les personnes d’origine étrangère, il y aurait eu en 2006, 64 cas de contamination pour 100 000 contre quatre pour 100 000 pour celles de nationalité française.
Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Santé, de la Jeunesse, présentant la nouvelle campagne de prévention et entourée du directeur général de la santé (Didier Houssin) de la directrice de l'INVS (Françoise Weber), du directeur de l'INPES (Philippe Lamoureux) a commenté ces résultats : «Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour agir, a-t-elle déclaré. Les homosexuels restent la seule population pour laquelle on n’observe pas de diminution des nouveaux diagnostics. De même, cette population de migrants reste malgré tout très touchée par l’infection. Les personnes les plus exposées au risque constituent donc les publics prioritaires de nos actions de prévention.»
De même, à 4 jours de la journée contre le SIDA, Roselyne Bachelot-Narquin souhaite "suspendre l'interdiction" pour les homosexuels de donner leur sang. Interdiction qu'elle a qualifiée de "démarche discriminatoire qui n'est pas tolérable". Cette suspension interviendra "d'ici quelques jours", a-t-elle indiqué, précisant qu'elle serait accompagnée d'une "campagne d'informations" sur les risques de transmission du sida, à destination des homosexuels.
L'association SOS Homophobie s'est félicitée de cette annonce. "C'est une bonne chose", déclare-t-on à l'association Aides, tout en rappelant que cette interdiction ne représente "pas une priorité dans les discriminations faites aux gays".
L'interdiction a été établie en mars 1983 par la Direction générale de la santé à l'attention des populations à risque, principalement les homosexuels et les toxicomanes, l'objectif étant de limiter les risques de contamination par le virus du VIH.
Aujourd'hui, lors d'une collecte de sang, il est ainsi demandé au donneur potentiel s'il a déjà eu "des relations sexuelles entre hommes". En cas de réponse positive, le don ne peut pas se faire.
Avec la levée de l'interdiction, seront désormais exclues les personnes ayant déclaré avoir eu "des pratiques sexuelles à risque".
"Si on se place sur un plan strictement arithmétique, sur le papier, il n'est pas totalement illégitime d'envisager ce type d'interdiction", explique le professeur Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida (CNS). Les homosexuels, rappelle-t-il, constituent une "population à forte prévalence de VIH".
Selon l'étude de l'Institut de veille sanitaire (InVS) publiée dans le BEH (voir ci-dessus), "29% de l'ensemble des découvertes de séropositivité" concernent les homosexuels.
"Les mesures de santé publique ne s'adressent pas à des individus mais à des populations", justifie-t-il encore. "Maintenant, c'est vrai, poursuit le professeur, si cette mesure est vécue comme une discrimination, elle va conduire certains donneurs à ne pas déclarer leur homosexualité" et aboutir ainsi à l'effet inverse de l'objectif affiché par les autorités.
Le président du CNS précise que l'interdiction faite aux homosexuels s'appuie sur le principe de précaution, "qui est inscrit dans la Constitution". Pour autant, il a "autant servi à résoudre le problème qu'à créer des effets pervers", reconnaît Willy Rozenbaum. Et de souligner que ce principe a également servi à "protéger les responsables administratifs" d'un éventuel nouveau scandale du sang contaminé.
La décision d'interdire ou d'autoriser les homosexuels à donner leur sang est donc "éminemment politique", conclut le professeur.
L'an dernier, Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, s'était déjà prononcé pour la suspension de cette interdiction.
C'est finalement Roselyne Bachelot-Narquin qui a décidé de mettre en pratique cette décision.
Une décision qui semble toutefois avoir pris de court plusieurs des organismes concernés par cette question.